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Archives départementales de la Côte-d'Or

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Octobre - Ordonnance de Louis XVI du 12 décembre 1775

Ordonnance Cette ordonnance royale du 12 décembre 1775 établit une chaîne à laquelle les déserteurs des troupes du roi seront attachés comme forçats. Imprimée sur papier chiffon et mesurant 70 cm de hauteur sur 50 cm de largeur, cette ordonnance vient imprimer la marque du jeune roi Louis XVI dans l'histoire du royaume de France alors que l'esprit des Lumières continue de transformer la société en profondeur.

Déserteur. D'après L'Encyclopédie de Diderot quelques décennies plus tôt, c'est un « soldat enrôlé qui quitte le service sans congé, ou qui change de capitaine et de régiment. Les déserteurs sont punis de mort.  » La désertion, en 1751, est encore considérée comme un crime passible de mort : elle est un crime de lèse-majesté, jugée par les prévôts de la maréchaussée, chargés de rendre la justice militaire. La « sagesse » et « l'humanité » du roi invoquées dès les premières lignes de l'ordonnance de 1775 semblent annoncer un vent nouveau et plus clément  pour les déserteurs.

La justice en France au XVIIIe siècle

Travaux forcésLorsque Louis XVI rédige ce texte, aidé du comte de Saint-Germain, qu'il a nommé ministre de la Guerre en octobre, et du chevalier Dupleix, conseiller du roi et maître des requêtes, la conception de la justice a évolué. Sous l'Ancien Régime, la faute pénale était encore profondément assimilée à la faute morale : l'homme a été créé libre par Dieu et, s'il s'écarte du Bien, il le fait de façon volontaire. L’État, quant à lui, reçoit de Dieu la délégation de punir. La pénitence revêt une double vertu pédagogique en servant à la pénitence du coupable et à l'édification de tous. L'époque des Lumières introduit une nouvelle perception. Le crime n'est plus tant lié à la religion qu'à la société civile qui en subit les conséquences. Il s'agit désormais de dédommager cette société en lui étant utile. On ne cherche plus le salut de l'homme mais une compensation. Pour les déserteurs des troupes du roi, cette compensation prend la forme de travaux forcés.

Une institution répressive plus juste ?

ForçatsEn dix-sept articles, l'ordonnance du 12 décembre 1775 prévoit tout le régime punitif des forçats, depuis leur arrivée jusqu'à l'énoncé de leurs droits une fois leur peine purgée. Il ne s'agit pas, comme l'a dit Michel Foucault, de « punir moins », mais de « punir mieux ».

La garde, choisie dans le corps des Invalides, est placée sous l'autorité d'un officier « d'une intelligence reconnue et d'une probité éprouvée ». Les déserteurs sont nourris et vêtus, et, pourvu qu'ils ne commettent pas de délit, s'en sortent relativement bien.

Un ancien forçat obtient ainsi un cartouche rouge qui lui permet de circuler librement tant qu'il n'entre pas dans un terrain à moins de dix lieues de Paris ou de la résidence du roi. Il lui est en revanche interdit de revenir dans l'armée.

Les articles 1 et 7 rappellent que les conditions de travail sont bien celles de criminels qui doivent doublement payer leur faute : ils sont envoyés dans les villes de Strasbourg, Metz, Besançon et Lille pour « travailler aux ouvrages vils et dangereux » pour le compte du roi et des particuliers : "Ils porteront une forte chaîne de fer de huit pieds de longueur, qui, bâtie sur une ceinture de cuir épais et large de trois pouces, sera attachée par le milieu du corps, fermée par un cadenas sûr, dont le Prévôt aura la clef ; et au bout de laquelle sera solidement fixé un boulet de canon du poids de seize livres, que porteront en main les Forçats dans leurs marches, et qu'ils traîneront pendant leurs travaux."

Le forçat sur les routes

La chaîne de forçats, née au XVIIe siècle, a une dimension symbolique forte. Le paradoxe avec la quête d'une justice moins arbitraire est bien réel. Les forçats sont enchaînés les uns aux autres et avancent, leur nombre grossissant de ville en ville, de province en province. Ils sont souvent les victimes d'une garde aussi féroce qu'eux. Tels une caravane d'hommes vils et dangereux comme les travaux qu'on leur impose, ces hommes participent de l'idée de publicité du crime qui corrige les mœurs de façon collective, par l'effet produit sur les témoins de leur emprisonnement. Sorte de « théâtre ambulant » (Sylvain Rappaport), la chaîne les fait apparaître comme des démons, mais devient aussi, à terme, l'instrument dont se serviront tous les contempteurs du système.

En parallèle, des enjeux économiques forts

GalériensLouis XVI est monté sur le trône en 1774. Il a formé un nouveau gouvernement et place notamment à ses côtés un ancien intendant du Limousin, Turgot, dont il fait son contrôleur général des finances. Son objectif principal est de rétablir l'équilibre des finances.

C'est du côté de la corvée royale que se tournent le roi et son ministre. A la fin de l'année 1775, Louis XVI prépare l'abolition de cette corvée, créée en 1738 pour faire construire et entretenir le réseau routier par les sujets du roi ; elle leur imposait 6 à 30 jours de travail gratuit dans l'année, souvent à plusieurs lieues de chez eux. L'objectif est alors de la transformer en impôt en argent, mieux réparti et plus « égalitaire ». Cela signifie aussi une grande perte de main-d’œuvre, d'où l'idée d'y affecter des chaînes de forçats.

Un système économiquement peu coûteux ?

De l'encadrement hiérarchique à la prévision des peines en cas de délits, en passant par la gestion quotidienne (nourriture, habillement, travail quotidien et gestion des recettes et dépenses), tout est fait pour mettre en place un système quasi-autonome, puisque l’État n'aidera qu'une seule fois les institutions, en accordant à chacune la somme de deux mille livres pour lancer le projet.

On rémunère la garde sur les fonds de l'hôtel, avec une gratification à la clé pour les plus zélés. Quant au forçat, le prix d'une journée de son travail correspond au tiers de celui de travailleurs normaux, et sert également à la rémunération du prévôt de la garde.

L’État met donc en place un système de répression à moindres frais tout en résolvant en partie la question des travaux publics.

La chaîne de terre, alternative sur l'évolution des galères vers le bagne

Avec la chaîne de terre, on distingue davantage les déserteurs, envoyés par la justice militaire, des criminels de droit commun envoyés aux galères, un système né à la toute fin du XVe siècle. Au milieu du siècle des Lumières, plus de 60 % des galériens sont des criminels de bas étage. Pour les ministres de la Marine et de la Guerre, les forçats représentent avant tout une main-d’œuvre moins chère que les journaliers, tant dans un port que sur les routes, et on peut les astreindre, sous prétexte du rachat de leur peine, à la dureté extrême du travail. L'expérience de la guerre en Amérique confortera ces idées, mais la fin du siècle apporte aussi des allègements : avec l'ordonnance de 1775, les déserteurs sont séparés des petits criminels ; une dizaine d'années plus tard, les forçats ayant fini leur peine peuvent effectivement prendre congé, et les plus démunis sont pourvus d'une petite somme pour retourner chez eux. À partir de la Révolution, le résultat de la réflexion sur les crimes et les peines aboutit à un premier Code Pénal en 1791, et surtout, à une distinction progressive entre les travaux forcés du bagne et l'emprisonnement des fers.

Archives départementales de la Côte-d'Or, série A, 1775


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